Où trouver des ailleurs quand tous les voyages sont possibles et toutes les terres connues ? La quête de Vassili Golovanov passe par une île polaire à l’abandon. Et mène de surprise en surprise.
Vassili Golovanov avait 29 ans lorsque le Mur tomba. Encore quelques années : les frontières s’ouvriraient. Comme beaucoup de jeunes Russes, Golovanov ne rêvait plus d’autres mondes possibles, là‑bas de l’autre côté de l’horizon : partir à l’Ouest, imaginer une société tout autre, découvrir l’inaccessible… L’exotisme a‑t‑il encore un sens dans un monde désormais fini – c’est‑à‑dire connu, mesuré, quantifié ? Avec d’autres, ce journaliste voyageur, dévoreur de livres, se déclara « géographe métaphysique ». Il arpenterait le monde fini en découvrant, chaque jour un peu plus, la diversité des mondes infinis qui s’étendent à l’intérieur de l’imaginaire. « Depuis l’effondrement du communisme, écrit‑il, nous n’avons plus d’ailleurs. C’est cet ailleurs, sans lequel aucune création n’est possible, que nous cherchons. » Déconvenues amoureuses, soucis professionnels, tracas d’argent : rien ne vient à bout de cette recherche d’une « île » qui serait à la fois celle de Robinson, celle, « mystérieuse », de Jules Verne ou celle des légendes, des contes et des traditions mystiques – telles que ces « îles étrangères » chantées par Jean de la Croix pour dire l’indicible émerveillement face à la divinité.
Vassili Golovanov n’en est pas moins pragmatique. Son Éloge des voyages insensés raconte un voyage bien précis dans l’île de Kolgouïev, en mer de Barents. Une île si belle les rares jours d’été ; si dure quand finit la courte saison. Ses habitants sont très éloignés de la toute fin du XXe siècle durant laquelle se déroule l’étonnant itinéraire – Golovanov ayant décidé de refaire plus ou moins le chemin des explorateurs de l’époque héroïque. Cela réserve bien des surprises sur des terres dont les occupants sont d’une Russie sans âge, d’un ethnicisme problématique et d’un soviétisme en déshérence.
Excellent narrateur, Vassili Golovanov joue de tous les registres. Nous suivons ses soucis personnels, ses lectures et ses recherches sans que ceux‑ci recouvrent la voix des personnes rencontrées : les âpres récits du quotidien et les dérives voisinent avec la légende, les poèmes ou des instants improbables, de pure merveille. Le « géographe métaphysique » orchestre son matériau avec puissance, humour et générosité – tout en finesse, de surcroît. […]