Né en 1960, inconnu avant la parution de son extraordinaire récit en janvier dernier, l'écrivain russe est la grande surprise littéraire de l'année. Portrait.
On ne peut pas partir tranquillement ; aucun voyage n'est possible sans une explosion initiale. » Ainsi parle Vassili Golovanov, dont le récit Eloge des voyages insensés (1) est sorti dans un relatif anonymat au début de l'année, avant qu'un libraire de Tulle (Préférences) n'en commande, après lecture, plusieurs centaines... et les vende, attirant ainsi, par la grâce d'un effet boule de neige, l'attention d'autres libraires, de lecteurs ou de critiques.
En ce qui le concerne, « l'explosion initiale » eut lieu au début des années 90, à l'heure de « l'effondrement du communisme, alors que les guerres locales se propageaient et qu'(il) hésitai(t) encore à devenir correspondant de guerre, mais redoutai(t) de devenir fou ». Il entreprend alors un voyage. Puis deux autres, explorant tel un ornithologue (2) à l'écoute de ses bruissements et de ses habitants l'île de Kolgouev : position insulaire, terre retranchée soumise aux vents, presque nue, située dans le sud-est de la mer de Barents et dont le seul moyen d'accès, depuis plusieurs années, est l'hélicoptère, après une décision unilatérale des autorités russes dont elle dépend. De cette fuite hors du temps est né ce récit insolite, qui célèbre les habitants de l'île (humains, animaux, végétaux) et touche à l'universel. Le lecteur s'y engage comme dans un rêve, avant d'être rattrapé par la réalité qui fait corps avec le sujet du livre : évoquer les brumes de la beauté et les déchirements de cette population.
Ainsi le monde se trouve-t-il expliqué par de grands voyages littéraires. Qu'importe, au fond, la destination - autour de sa chambre ou aux confins. Tel un navigateur égaré, ne sachant pas ce qui l'attendait, puis l'esprit dégagé peu à peu des chimères de sa vie passée, Vassili Golovanov prit ses marques dans ce paysage lointain, soudain saisi par la portée de l'événement : percevoir, deviner, recueillir, pour mieux « réinventer » l'univers auquel il accédait. Et ramener l'écho des paroles de ces habitants « jetés dans ce désert salé du bout du monde par une incroyable loterie du destin », s'exprimant avec clarté, entre deux gestes suspendus dans l'air. « Enfant du communisme, explique-t-il, j'avais été formé par des catégories. Du fait de cette longue expérience sur l'île, tout devenait relatif. En voyage, le temps est plus linéaire. Mais il me fallait trouver le langage qui corresponde à cet espace. Mon livre est né d'un lent processus d'écriture, parallèle au voyage effectué. »
Au programme dudit voyage : chasses dans « l'immense hallucination » de la toundra, discussions avec les Nenets dévidant de longues fables au milieu des rires, de la fumée et des vapeurs d'alcool. Refus de rendre l'âme, « alors que tant de cultures disparaissent, et qu'il ne restera rien de cette terre dans peu d'années ».
La vie germe dans les profondeurs de ces expériences. Y compris devant la violence, les cris, l'ineptie même de la vie : « La question qui se posait à moi était celle-ci : comment est-il possible de se montrer hospitalier face au désespoir ? Je voulais dire à ces êtres qu'une autre vie était possible. Il n'y avait au fond que deux possibilités : soit se dire que c'était terrible, soit aller au-delà, trouver le sens profond des choses, et si possible laisser une trace de cet enseignement reçu. » C'est aussi du fait de sa dimension collective - les annexes du livre sont pour partie le récit des vies de certains de ces habitants par eux-mêmes - que ce récit donne sa pleine mesure, et non comme une simple image du souvenir. « Elle élargit le cercle. Tout le monde participe et écrit pour un grand livre commun. » Entre rêves et espoirs, qui embellissent tout.