Vassili Golovanov fut, comme tant d’autres, un Fugitif de la vie ; il a confié à l’île Kolgouev, située dans le Grand Nord, la tâche d’éprouver en lui « la valeur de l’homme qui se mesure à son humanité ». Au cours de son expédition au pays des Nénets, des éleveurs de rennes peu à peu encerclés par le désastre postsoviétique – « monde de délire alcoolique » –, il laisse tomber comme une peau morte sa mythologie de l’Île, d’abord nécessaire à son entreprise, puis la raison commune, incapable de rendre compte de l’état actuel du monde et peut-être même coupable de cette situation désespérante. On ne fait pas naître l’homme intérieur en soi, si proche des origines, par des méditations sur le Destin ou les devoirs de l’homme envers la Nature, mais par l’expérience extrême de la fatigue, de la faim, et d’une mort possible. Dans cette île plate, froide, grise, hostile, V. Golovanov s’ouvre sous nos yeux au « déploiement de l’espace dans le temps », et prend le risque de devenir autre à jamais. Au seuil du profond mystère qu’est la place de l’homme dans la Création, l’ancien Fugitif, devenu plus intime au lecteur que ce dernier ne l’est à lui-même, éprouve la nécessité d’un nouveau langage pour dire ce mystère. Une véritable fraternité se noue avec le lecteur dans cette magnifique éclosion de la vérité en une âme faite de chair et d’esprit, et la nôtre.